De 0,5 à 6 % des enfants et adolescents seraient confrontés à la dépression
Les troubles dépressifs sont les
troubles mentaux les plus fréquents chez les enfants et les adolescents.
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D'après les données de l'Inserm
mentionnées par l'ANSM en 2008, 0,5 % des enfants et 3 % des adolescents de 13 à 19 ans seraient touchés. Selon une
méta-analyse américaine publiée en 2006, les chiffres seraient encore plus importants :
2, 8 % des enfants âgés de 6 à 12 ans seraient concernés, et
5,6 % des adolescents âgés de 13 à 18 ans.
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De plus, les auteurs rappellent que
cette pathologie reste sous-diagnostiquée et sous-traitée, notamment en raison de
symptômes moins typiques que ceux présentés par les adultes (irritabilité, agressivité ou refus scolaire).
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La psychothérapie est un traitement souvent efficace. Les antidépresseurs sont éventuellement administrés en seconde intention
En cas de dépression caractérisée,
la psychothérapie est le traitement de première intention dont l'efficacité n'est plus à démontrer.
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Un traitement antidépresseur peut être envisagé en cas d'échec de la psychothérapie ou pour en faciliter le déroulement,
comme le résument les auteurs de la VIDAL Reco "Dépression". Chez les adolescents atteints d'une dépression sévère, ces médicaments peuvent même être utilisés en première intention, "
sous une surveillance très étroite du risque suicidaire".
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En France, seule la fluoxétine a une AMM pour les enfants et adolescents
En France,
seule la fluoxétine bénéficie d'une AMM dans le traitement des épisodes dépressifs majeurs (c'est-à -dire caractérisés) d'intensité modérée à sévère
en association à un traitement psychothérapeutique chez les patients de moins de 18 ans (à partir de 8 ans), après échec (non réponse) de 4 à 6 séances de psychothérapie.
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Méta-analyse en réseau pour hiérarchiser les antidépresseurs et évaluer leur efficacité versus placebo La fluoxétine est-elle vraiment le seul antidépresseur qui peut avoir un intérêt chez l'enfant ? Parmi les autres antidépresseurs disponibles, lesquels auraient éventuellement un intérêt ou, au contraire, un rapport bénéfices – risques négatif ?
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Afin de le vérifier, Andrea Cipriani (chercheur en psychiatrie, Oxford) et ses collaborateurs provenant de 7 autres pays (Chine, USA, Allemagne, Italie, Australie, Pays-Bas... et France) ont effectué une
méta-analyse en réseau (comparaison directe et indirecte des effets des antidépresseurs,
cf. schéma infra, en utilisant une approche statistique probabiliste, "
bayésienne"). Ils ont opté pour cette méthode car
les méta-analyses appariées antérieures n'ont pas fourni de résultats clairs sur la hiérarchisation des antidépresseurs disponibles (les nombreuses molécules disponibles n'ont pas souvent été directement comparées).
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Pour la première fois, les auteurs de cette méta-analyse ont donc
cherché à comparer et à classer l'efficacité de tous les antidépresseurs et du placebo dans le traitement du trouble dépressif majeur chez les enfants et les adolescents à travers l'étude de
tous les essais randomisés en double aveugle disponibles. Â
Les données de tous les essais comparant un antidépresseur avec un placebo ou un autre antidépresseur actif, en monothérapie, par voie orale, dans le traitement du trouble dépressif majeur chez les enfants et les adolescents ont donc été
collectées à partir de différentes bases de données disponibles dans le monde : PubMed, Cochrane Library, Web of Science, Embase, CINAHL, PsycINFO, LILACS, les sites internet des organismes de réglementation et les registres internationaux pour les essais contrôlés randomisés et en double aveugle publiés et non publiés jusqu'au 31 mai 2015.
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En cas de dépression résistante, de traitement de moins de 4 semaines ou d'échantillon de moins de 10 patients, les essais ont été exclus de l'analyse.
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Etude du rapport bénéfices – risques de 14 molécules
Au total,Â
34 essais ont été admis pour l'analyse. Ces essais comportaient les données deÂ
5 260 participants et
14 médicaments antidépresseurs :Â
amitriptyline,Â
citalopram,Â
escitalopram,Â
clomipramine,Â
duloxétine,Â
fluoxétine,Â
imipramine,Â
mirtazapine,Â
paroxétine,
sertraline,
venlafaxine, désipramine, néfazodone et nortriptyline (trois derniers non commercialisés en France). Â
[édit] Le schéma ci-dessous représente les
données utilisées pour la méta-analyse en réseau : - les cercles représentent les médicaments : plus le diamètre augmente, plus le nombre de participants ayant pris cette substance augmente (placebo > fluoxétine > duoxétine, etc.) ;
- les traits représentent les comparaisons directes effectuées (essai clinique) entre 2 traitements  : plus les traits sont épais, plus le nombre d'essais est élevé (fluoxétine vs placebo, paroxétine vs placeo) ;
- en l'absence de trait entre 2 substances, une comparaison indirecte peut être effectuée : fluoxetine vs placebo et placebo vs clomipramine => comparaison indirecte entre fluoxétine et clomipramine [/édit].La moitié des essais inclus un échantillon recruté en Amérique du Nord et seulement 12 % en Europe.
La durée moyenne du traitement était de 8 semaines (5 à 12), et 82 % des essais (28 sur 34) concernaient des enfants et des adolescents atteints de symptômes dépressifs modérés à sévères. Le
risque de biais a été évalué au moyen de l'outil Cochrane ("
risk of bias tool"). Â
Les
critères principaux d'évaluation étaient l'efficacité (amélioration des symptômes dépressifs) et la tolérance (arrêt du traitement en raison d'événements indésirables).
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Une efficacité décevante par rapport au placebo. Une exception : la fluoxétine
La qualité des résultats a été jugée "
très faible dans la plupart des comparaisons effectuées".
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La
fluoxétine a cependant été significativement
plus efficace que le placebo (différence moyenne standardisée -0,51, Intervalle de crédibilité à 95% [ICr] -0,99 à -0,03). A l'inverse,
la nortriptyline s'est avérée significativement moins efficace que 7 autres antidépresseurs et qu'un placebo.
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Des médicaments parfois mal tolérés, pouvant entraîner des arrêts prématurés du traitement
En terme de tolérance,
la fluoxétine fait mieux que la duloxétine ( [OR] 0,31, [ICr] 0,13 à -0,95)
ou l'imipramine ( [OR] 0,23, [ICr] -0,04 Ã -0,78).
Le citalopram et la paroxétine se sont avérés significativement mieux tolérés que l'imipramine. Cette dernière a d'ailleurs été significativement
moins bien tolérée que le placebo (5,49 ; -1,96 à -20,86) tout comme la venlafaxine (3,19 ; -1,01à -18,70) et la duloxétine (2,80 ; -1,20 à -9,42).
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L'imipramine, la venlafaxine et la duloxétine sont les antidépresseurs associés au
plus grand nombre d'interruptions du traitement en raison de leurs effets indésirables. Ces interruptions étaient plus fréquentes que chez les patients sous placebo. Â
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Une augmentation du risque suicidaire associée à la prise de venlafaxine ; données manquantes pour d'autres antidépresseurs
Le
risque suicidaire doit être pris en compte tout au long de l'évolution de l'épisode dépressif et notamment en cas de mise en route d'un traitement antidépresseur. Ce risque serait
plus élevé chez l'enfant et l'adolescent, d'où la nécessité d'une vigilance accrue, en particulier lors des premières semaines du traitement.
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L'analyse des auteurs confirme ce risque pour au moins un médicament : ils ont constaté davantage de comportements suicidaires (ou idéations) chez les jeunes sous
venlafaxine par rapport aux jeunes sous placebo (OR 0,13 ; 95% [ICr] 0,00 à 0,55) et sous 5 autres antidépresseurs (escitalopram, imipramine, duloxétine, fluoxétine et paroxétine).
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Cependant, en raison de l'absence de données fiables pour nombre d'antidépresseurs,
ce risque de suicidalité n'a pas pu être évalué pour tous les médicaments car les méthodes utilisées sont insuffisantes dans la plupart des essais. Ces limites sont importantes à prendre en compte lors de l'interprétation des résultats.
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Analyse des biais : données de "très faible qualité", besoin de données personnalisées.
En utilisant la
méthodologie GRADE (The Grading of Recommendations Assessment, Development and Evaluation)Â
pour évaluer la qualité des données, les auteurs estiment que cette
qualité est "très faible" dans la plupart des comparaisons. De même pour la
faible qualité des preuves dans le classement global des traitements en terme d'efficacité et de tolérance.
De plus, l'interprétaiton de ces résultats reste limitée en raison de l
'incertitude entourant ces estimations, mais aussi des
biais sélectifs potentiels dus au petit nombre d'essais pour certaines molécules ainsi qu'à la
faible taille d'échantillon dans les essais indépendants. Enfin, les auteurs n'ont
pas eu accès aux données individuelles des patients, alors que c'est le seul moyen pour évaluer correctement l'effet d'un traitement.Â
En conclusion : scepticisme sur l'efficacité des antidépresseurs à cet âge, même si la fluoxétine semble présenter un intérêt, en seconde intention
Malgré les biais et limites évoqués ci-dessus,Â
plusieurs résultats sont significatifs : 13 des 14 antidépresseurs étudiés ne semblent pas avoir un rapport  bénéfices–risques clairement positif, et la fluoxétine semble éventuellement intéressante, sans qu'il soit possible d'affirmer que cette efficacité est significative sur le plan clinique. En pratique, l
e soutien psychologique reste bien entendu la priorité pour prendre en charge une dépression de l'enfant ou de l'adolescent. En cas d'échec, d'impossibilité d'accès à la psychothérapie ou de dépression sévère d'emblée, et lorsqu'un traitement pharmacologique paraît nécessaire, les auteurs estiment, au diapason des recommandations françaises, que l
a fluoxétine reste la meilleure option à considérer. La surveillance du risque de suicidalité reste recommandée dans les premières semaines pour toute instauration d'un traitement antidepresseur.