Le cancer du larynx à un stade avancé impose une
mutilation chirurgicale drastique pour permettre la survie des patients, entraînant des séquelles et handicaps terribles au quotidien.
Pour tenter de compenser les effets de ce traitement radical, le
Pr Christian Debry (CHU Strasbourg, Inserm) expérimente depuis 2012
l’implantation d’un larynx artificiel à ses patients. Malheureusement, leur état de santé fragile ne leur avait pas, juqu’ici, permis de conserver ces prothèses.
Mais le Pr Debry et son équipe ont persisté et
viennent de publier une correspondance au New England Journal of Medicine sur la
réussite prolongée d’un nouvel implant laryngé total : le patient le porte depuis
18 mois avec de
nettes améliorations cliniques et en qualité de vie.
C’est le
recul le plus long à ce jour dans le monde et pour le Pr Debry la preuve de
l’efficacité de ce concept thérapeutique. La
raison de cette réussite, qui demande néanmoins confirmation avec d’autres patients et recul ? Probablement l’
ajout d’un biofilm complexe à ce larynx artificiel en titane, permettant de limiter l’inflammation, prévenir et contrôler les infections.
Larynx artificiel élaboré par l'équipe du pr Debry, avec la société Protic Méd (© Inserm / Delapierre, Patrick).
Le traitement chirurgical du cancer sévère du larynx nécessite une trachéostomie Le traitement des stades avancés des cancers du larynx comporte en général une
ablation chirurgicale totale du larynx. Malheureusement, les greffes de larynx sont rarissimes.
Une
trachéotomie définitive, appelée trachéostomie, est donc mise ne place, pour permettre au patient de respirer correctement, puis, après une longue rééducation, avec de parler avec une
voix oesophagienne.
Une prothèse en titane élaborée après 15 années de travail La recherche effectuée par le Pr Debry et son équipe (unité Inserm 1121) vise à
remplacer le larynx atteint par une prothèse comportant un système de valves et fixée sur la trachée.
Cette prothèse a été
conçue par la société Protip médical avec des ingénieurs de l'aérospatiale. Elle comporte un
tube en silicone provisoire et des
pièces en titane et en titane poreux pour faciliter l'intégration dans les tissus, avec une
partie permanente (trachéale) et une
partie retirable à la demande (laryngée) :
Une fois la partie amovible insérée, le patient
respire au travers de cette prothèse à clapets, et
avale toujours par l'œsophage. Une optimisation récente du traitement de surface de la prothèse avec un film antimicrobien complexe Des
avancées en matière de tolérance cellulaire du matériel ont été effectuées, grâce à la mise au point d'un
revêtement par biofilm très fin (400 à 600 nanomètres seulement)
produit par le laboratoire Inserm strasbourgeois de Philippe Lavalle, où travaille également le Pr Debry.
Ce biofilm est constitué par une
membrane biologique ("film") qui comporte :
- de la
catéstatine (antibactérien cellulaire naturel),
- une
polyarginine (polyélectrolyte cationique à effet antimicrobien)
- et de l'
acide hyaluronique (effet
angiogénique et inhibiteur de la croissance bactérienne).
Ce biofilm est déposé sur une
fine couche d'argent antibactérienne prolongeant l'effet infectieux des molécules naturelles. "L'argent est une substance anti infectieuse actuellement utilisée sur les cathéters et les pansements", précise Philippe Lavalle.
L'ensemble se comporte comme un traitement protecteur multifonction, applicable sur toute surface de la prothèse à implanter (larynx en titane, mais aussi, par exemple, un pacemaker) :
Une efficacité montrée en laboratoire sur l'inflammation et la survenue d'infections En collaboration avec des chercheurs allemands et russes, P. Lavalle a publié les bons résultats de ce "tout en un
antibiotique, antifongique et anti-inflammatoire" en 2015
dans Advanced Healthcare Materials.
Selon les tests effectués, ce biofilm s'avère
efficace contre la colonisation par Staphylococcus aureus, Candida albicans, Aspergillus fumigatus, ce qui pourrait réduire le risque infectieux après l'implantation de prothèses recouvertes.
Par ailleurs, les films testés ont un
fort effet inhibiteur sur la production de cytokines inflammatoires libérées par les sous-populations de macrophages humains primaires (en comparaison avec des matériaux non recouverts de ce biofilm). Cela pourrait
réduire la réaction inflammatoire chronique potentielle après implantation.
Depuis 18 mois, un patient de 56 ans porte un tel larynx artificiel optimisé avec ce biofilm et sa qualité de vie s'est améliorée Le patient de 56 ans du Pr Debry a subi une
laryngectomie totale avec pose immédiate de la prothèse. La tête laryngée a été d'abord occultante strictement pendant les suites opératoires et la radiothérapie.
Quatre mois plus tard,
la tête occultante a été remplacée par une tête mobile à clapets qui permet au patient de
respirer 6 heures et plus dans la journée sans recourir à sa canule de trachéotomie, que le patient continue d'utiliser pour respirer à la demande.
La prothèse permet une
saturation sanguine suffisante en oxygène en air ambiant.
Le patient
peut parler distinctement à voix très basse (score de 28 au Voice Handicap Index - d'autant plus élevé que le handicap est prononcé), ce qui lui évite l'apprentissage difficile de la voix œsophagienne (voir ces
3 vidéos, en français, sur le site du New England Journal of Medicines).
Avec le recul,
aucune sténose n'est apparue à l'anastomose prothèse-trachée, et le dispositif n'a pas perturbé la radiothérapie.
A ce jour, après 18 mois,
le patient porte toujours son implant (première mondiale). "Aujourd'hui,
il a retrouvé sa voix et son olfaction, supprimées par l'opération. Il est capable de se passer complètement de l'utilisation de l'orifice de trachéotomie pendant de longues périodes
de jour comme de nuit. C'est la première fois qu'un tel concept fait sa preuve. Il persiste encore des
troubles de la déglutition mais nous avons franchi une
première étape représentant un gain réel en termes de confort et de qualité de vie pour ces patients. Nous avons pour ambition de leur redonner à terme la capacité de se nourrir normalement et
qu'ils retrouvent leur socialité lors des moments de repas. Les perspectives d'évolution de cette prothèse restent considérables", explique le Pr Debry.