Toute l'actualité générale => Cancer de la prostate localisé : prostatectomie, radiothérapie ou surveillance, quelles conséquences ?


Pour la première fois, une étude randomisée contrôlée a comparé trois modalités thérapeutiques du cancer de la prostate en terme de mortalité, de progression de la maladie et de vécu des patients.
 
L'étude ProtecT, menée sur 10 ans auprès de 1 643 patients, a ainsi comparé les conséquences objectives et subjectives d'une prostatectomie totale, d'une radiothérapie externe associée à un traitement néoadjuvant hormonal et d'une surveillance active chez des patients ayant reçu un diagnostic de cancer de la prostate localisé à la suite de mesures du PSA (cancer in situ, exclusion des cancers avancés).
 
Les résultats de la première partie de l'étude, publiée dans le NEJM, montrent que si la surveillance active a donné cours à davantage de progression de la maladie et de métastases que les deux autres modalités, aucune différence n’a été observée en terme de mortalité (liée au cancer de la prostate ou toutes causes confondues) sur les 10 années du suivi médian. Cette mortalité reste faible, au pire égale à 1,5 décès pour 1 000 patients années.
 
En terme de vécu des patients, 
la deuxième partie de l'étude ProtecT, également publiée dans le NEJM montre la prostatectomie totale est le traitement qui provoque le plus de séquelles urinaires et sexuelles durables, et la radiothérapie de séquelles digestives pendant la première année post-traitement. Ces séquelles impactent la qualité de vie globale de manière proportionnelle à leur intensité et à leur persistance. 

Ces deux études rigoureuses soulèvent à nouveau la question du traitement initial d'un cancer de la prostate localisé, à risque "faible" ou "intermédiaire" : faut-il choisir un traitement fort d'emblée, au risque de séquelles parfois lourdes et sans impact évident sur la mortalité, ou faut-il préférer, dans un premier temps, une simple surveillance active, mais avec le risque, pour certains patients, d'un traitement ultérieur plus lourd en raison d'une augmentation du risque de métastases ?  

La prostatectomie totale est l'option thérapeutique la plus à risques de séquelles sexuelles et urinaires (illustration : métaphore sur l'incontinence urinaire, séquelle malheureusement fréquente).


ProtecT est une étude multicentrique menée au Royaume-Uni entre 1999 et 2009 et destinée à comparer l'efficacité (en terme de mortalité) et la tolérance, objective et subjective, de 3 modalités thérapeutiques contre le cancer de la prostate. Les résultats de cette étude viennent d'être publiés dans deux articles parus dans le NEJM.
 
Un diagnostic de cancer de la prostate initié par la mesure du PSA
ProtecT a recruté ses participants à partir de la mesure du PSA chez 82 429 hommes âgés de 50 à 69 ans. Chez ces personnes, 2 664 cas de cancer de la prostate non métastatiques au pronostic favorable ont été diagnostiqués, avec les caractéristiques suivantes :
- âge moyen de 62 ans,
- 76 % des cancers ont été découverts au 
stade T1c (déouverte sur biopsie, non détectable par toucher rectal ni par l'imagerie),
- 77 % avec un score de Gleason (évalue le degré d'agressivité potentiel de la tumeur) de 6 (risque faible d'agressivité), 21 % avec un score de Gleason de 7 (risque intermédiaire),
- taux médian de PSA = 4,6 ng/ml (risque faible).
 
Comparaison des conséquences de 3 modalités de prise en charge chez 1 643 de ces patients
Parmi ces patients, 1 643 ont accepté d'entrer dans une étude randomisée contrôlée comparant la prostatectomie totale, la radiothérapie externe associée à une hormonothérapie néoadjuvante et une surveillance active. définie comme un suivi du taux de PSA tous les 3 mois la première année, puis tous les 6-12 mois ensuite (une augmentation de 50 % du taux de PSA sur 12 mois justifiant un réexamen de la modalité de prise en charge).
 
Un suivi sur une médiane de 10 années, plus de la moitié des patients "surveillés" ont été traités secondairement
Les participants de l'étude ProtecT ont été suivi sur une médiane de 10 ans.

Par ailleurs, les participants ont rempli des questionnaires de qualité de vie
(fonction urinaire, digestive et sexuelle, qualité de vie globale et liée au cancer, anxiété, dépression, état de santé général) au moment de l'inclusion, à 6 mois, 12 mois, puis tous les ans. Plus de 85 % des participants ont complété ces questionnaires.

Progression de la maladie dans le groupe "surveillance active" chez un peu plus de la moitié des patients sur 10 ans
Les résultats de la première étude publiée dans le NEJM portent sur l'évaluation objective des conséquences des choix thérapeutiques dans chaque groupe.

Parmi les hommes atteints d'un cancer localisé de la prostate et assignés au groupe "surveillance active", 
53,4 % ont fini par recevoir un traitement invasif : 49 % d'entre eux ont subi une prostatectomie totale, 33 % une radiothérapie associée à une hormonothérapie telle que définie dans le protocole, 8 % une curiethérapie. L'analyse de l'étude a été menée en intention de traiter.
 
Aucune différence significative en terme de mortalité spécifique et globale entre les 3 groupes
Sur la durée de l'étude, 17 cas de décès lié au cancer de la prostate ont été relevés : 8 dans le groupe "surveillance active", 5 dans le groupe "prostatectomie totale" et 4 dans le groupe "radiothérapie"des différences qui ne sont pas significatives.

Ces chiffres correspondent à une mortalité liée au cancer de la prostate sur 10 ans de : 
- 1,5 décès pour 1 000 patients années pour la surveillance active,
- 0,9 pour la prostatectomie totale
- et 0,7 pour la radiothérapie.


Aucune différence significative n'a donc été observée entre les groupes.

En terme de mortalité toutes causes confondues, aucune différence n'a été observée entre les groupes (169 décès au total).
 
Davantage de progression de la maladie et de métastases dans le groupe "surveillance active" par rapport aux 2 autres groupes
La fréquence de progression de la maladie a été significativement supérieure dans le groupe "surveillance active" : 22,9 progressions pour 1 000 patients années, contre 8,9 et 9,0 respectivement pour la prostatectomie totale et la radiothérapie.

De plus, la fréquence d'apparition de métastases a été de 6,3 cas pour 1 000 patients années pour la surveillance active, un chiffre significativement supérieur au 2,4 et 3,0 observés respectivement pour la prostatectomie et la radiothérapie. 
 
Des séquelles urinaires intenses et fréquentes dans le groupe "prostatectomie totale"
L'analyse des questionnaires de qualité de vie (deuxième publication du NEJM portant sur des éléments subjectifs) montre que, des trois modalités thérapeutiques, la prostatectomie est celle qui provoque les séquelles urinaires les plus intenses et les plus durables, et celle qui impacte le plus durablement la qualité de vie, essentiellement en raison d'une incontinence fréquente.

Ainsi, 6 mois après l'intervention, 46 % des patients ayant subi une prostatectomie devaient avoir recours à des protections absorbantes (respectivement 4 et 5 % pour les groupes "surveillance active" et "radiothérapie").

Six ans plus tard, ils étaient encore 17 % à ne pas pouvoir s'en passer (contre 8 et 4 % dans les deux autres groupes).

Par ailleurs, les patients du groupe "radiothérapie" se sont davantage plaint de nycturie à 6 mois, pour rejoindre les deux autres groupes à 12 mois.
 
Des problèmes de dysfonction érectile plus fréquents en cas de prostatectomie totale ou de radiothérapie, mais la différence s'estompe avec le temps
Comme pour les troubles urinaires, la prostatectomie totale se révèle plus pourvoyeuse de troubles de l'érection. Si 67 % des participants ne déclaraient aucun problème érectile à l'inclusion dans l'étude, à 6 mois ils n'étaient plus que 12 % dans le groupe "prostatectomie, contre 22 % dans le groupe "radiothérapie"
et et 52 % dans le groupe "surveillance active").

Six ans après inclusion, l'écart entre ces pourcentages se resserre :
17 % des patients du groupe "prostatectomie" ne déclarent aucun souci érectile, contre  27 % dans le groupe "radiothérapie" et 30 % dans le groupe "surveillance active".
 
Des séquelles digestives essentiellement dans le groupe "radiothérapie"
Six mois après le traitement, les patients du groupe "radiothérapie" étaient significativement plus nombreux à se plaindre de troubles digestifs
 : incontinence fécale (p = 0,03) et diarrhée (p < 0,001).

Ces séquelles étaient encore perceptibles deux ans plus tard
avec une fréquence plus élevée de sang dans les selles (p < 0,001) .
 
Des séquelles plus durables dans le groupe "prostatectomie totale" que dans le groupe "radiothérapie"
Six ans après le traitement dans le groupe "radiothérapie", les fonctions urinaire et sexuelle se sont stabilisées après une amélioration progressive sur les 2 ou 3 premières années post-traitement, et tendent à rejoindre celles du groupe "surveillance active" (groupe dont la taille décline avec la progression de la maladie).

Dans le groupe "prostatectomie totale", les séquelles urinaire et digestive sont restées significativement plus intenses, malgré un certain degré d'adaptation de la part des patients.

Aucune différence significative en terme d'anxiété ou dépression n'a été observée entre les groupes au cours du suivi.
 
L'étude ProtecT présente des limites à prendre en compte pour l'analyse
Les auteurs des deux articles publiés dans le NEJM mettent en avant certaines limites de l'étude ProtecT, en particulier le recrutement parmi des hommes relativement jeunes avec des formes peu avancées de cancer, ce qui a pu avoir un impact positif sur la faible mortalité observée après seulement 10 ans.

De plus, cette étude a été conçue il y a presque 20 ans et, depuis, les techniques de diagnostic et de traitement du cancer de la prostate ont évoluées : IRM, techniques chirurgicales moins invasives, curiethérapie, radiothérapie conformationnelle par modulation d'intensité, etc.

Enfin, moins de 1 % des participants à cette étude étaient d'origine africaine ou caribéenne.
 
En conclusion : des résultats qui sont à nouveau en faveur d'un choix adapté aux caractéristiques et priorités de chaque patient
Malgré les limites résumées ci-dessus, les auteurs concluent de cette étude que, dans cette population de patients, la mortalité liée au cancer de la prostate est faible quel que soit le traitement choisi : 10 ans après le diagnostic, 44 % des patients du groupe "surveillance active" ont pu se passer de traitement invasif et éviter leurs séquelles.

Ces résultats sur la faible mortalité des cancers localisés, au diapason d'autres études (voir notre article de septembre 2015), mis en regard des risques de séquelles importantes et fréquentes des traitements invasifs, soulignent donc à quel point il faut soupeser, avec le patient concerné, le rapport bénéfices - risques avant de choisir une option thérapeutique : espérance probable de vie, sexualité, entourage, etc. D'autant que le surrisque de métastases mis en évidence dans le groupe "surveillance" augmente  probablement secondairement le risque de traitements plus lourds une fois les métastases détectées, ce qui augmenterait alors aussi le risque de séquelles, comme le souligne le Pr Anthony D'Amico, dans un éditorial accompagnant ces deux publications. 

Un 
suivi prolongé est prévu chez les participants pour affiner les données de survie, d'efficacikté et tolérance comparées des 3 groupes.

Ces résultats rappellent aussi à quel point  la 
prescription systématique de PSA sans point d'appel peut avoir des conséquences lourdes pour les patients concernés, en particulier si un traitement est décidé d'emblée, comme c'est encore souvent le cas et comme l'a récemment rappellé l'INCa (voir notre article de mars 2016). Cette notion de surdiagnostic et surtout de surtraitment immédiat de nombreux cancers de la prostate localisés, peu ou non évolutifs, présente d'ailleurs des similitudes avec le possible surtraitement du cancer papillaire de la thyroïde, à propos duquel le CIRC (centre international de recherche sur le cancer, rattaché à l'OMS) s'est récemment alarmé (voir notre article du 30 août 2016). 


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